samedi 29 juin 2024, par
Dans le cadre de son congrès qui a eu lieu les 13 et 14 juin, Solidaires Rhône a eu le plaisir d’accueillir Juan Padilla, de la direction de l’ Asociación Gremial de Computación (syndicat de l’informatique de la CGT argentine). Lors de la soirée consacrée à la lutte syndicale dans un contexte de gouvernement d’extrême droite, il nous a présenté la situation en Argentine et a échangé avec la salle. Il nous a également accordé un entretien dont nous publions ici la traduction.
Solidaires Rhône : Après son installation au pouvoir, quelles ont été les conséquences des mesures prises par le gouvernement Milei sur les travailleurs et les travailleuses ?
Juan Pandilla : L’une des premières choses que ce gouvernement a faites a été de s’attaquer aux organisations de la classe ouvrière, au financement des syndicats afin de les affaiblir, parce que son intention est de revenir sur les droits acquis, sur des aspects tels que la négociation collective, historiquement intégrée en Argentine. Il a même tenté de suspendre les négociations collectives. Ce fut l’une de ses premières attaques. Il a sapé les salaires des travailleurs, il a libéralisé les tarifs des services tels que l’électricité, le gaz, tous les services, en disant explicitement qu’il "liquéfiait les salaires des travailleurs", et il s’est dit très heureux de l’avoir fait.
S : Ces mesures concernent-elles également les retraité·es ?
JP : Bien sûr, et à plusieurs titres. Elles ont détérioré le pouvoir d’achat des retraités parce qu’elles ont, entre autres, supprimé certaines réductions dont ils bénéficiaient sur les médicaments et ont libéralisé les prix des médicaments, alors que les retraités consacrent une grande partie de leurs revenus à l’achat de médicaments. D’autre part, les produits alimentaires montent en flèche et les retraités et la classe ouvrière sont les plus touchés, ceux qui souffrent le plus, ceux qui subissent le plus les conséquences de cet ajustement.
Dans quelle mesure le mouvement ouvrier et les travailleur·euses ont-ils pu freiner les mesures de Milei, comme la “loi omnibus” ou la “loi bases” ? Que peux-tu dire de la grève générale, de l’unité de l’action syndicale ?
S : Dans quelle mesure le mouvement ouvrier et les travailleur·euses ont-ils pu freiner les mesures de Milei, comme la “loi omnibus” ou la “loi bases” ? Que peux-tu dire de la grève générale, de l’unité de l’action syndicale ?
JP : Lorsque le gouvernement de Milei est entré en fonction, la première mesure a été un "décret d’urgence" (Decreto de necesidad y urgencia, ndt), d’application immédiate, et le mouvement ouvrier est rapidement descendu dans la rue, a organisé une mobilisation pour demander à la justice d’arrêter le décret. Ce décret contenait plusieurs points : un chapitre sur le travail, un chapitre sur les finances et l’économie. Mais le mouvement ouvrier a réussi à faire annuler le chapitre relatif au travail. Ce premier décret permettait des licenciements massifs sans aucune intervention syndicale, sans aucune justification. Il libéralisait complètement le marché du travail en permettant aux entreprises de faire ce qu’elles voulaient.
La “loi omnibus”, qui est venue plus tard, qu’il a essayé de faire passer ensuite, contenait beaucoup de ces mesures, y compris certaines qui, pour nous, sont inconcevables, par exemple, l’interdiction des réunions de plus de trois personnes.
S : Comme pendant la dictature…
JP : Oui, comme pendant la dictature militaire. Nous avons également combattu cette disposition légale, il y a eu une grève générale, une mobilisation très massive qui a rassemblé environ deux millions de personnes dans les rues d’Argentine : un million à Buenos Aires et un autre million dans le reste du pays. Une mobilisation massive dans un pays de 40 millions d’habitants. Malgré cela, il n’a pas été possible de stopper la “Ley Bases”, approuvée hier (12 juin) par le Sénat. Mais nous avons réussi à obtenir que certaines choses concernant le monde du travail soient négociées.
En tant que travailleurs et avec l’ensemble du mouvement syndical, nous proposons que certaines modifications ne puissent être apportées que par le biais de conventions collectives (notamment la durée de la période d’essai, ndt). Nous comprenons que certains changements doivent être apportés, mais ils dépendent de chaque secteur d’activité et la voix des travailleurs doit être présente dans la négociation. Si ce n’est pas le cas, ce sera certainement au détriment de nos droits.
S : Que peux-tu dire des contacts internationaux avec d’autres syndicats, de la présence à la conférence de l’OIT ?
JP : Nous avons participé à la conférence de l’OIT. Nous sommes venus en tant que représentants de notre syndicat, avec notre secrétaire général, mais en tant que membres de la CGT. Nous avions déjà participé à des éditions précédentes, mais c’est la première fois que nous avons participé directement au nom de notre syndicat, et pas seulement au nom de la centrale syndicale. Nous y sommes allés pour apprendre, pour écouter. L’une des choses qui m’a le plus frappé a été d’écouter des délégués de différents pays du monde, de différentes régions, qui ont dit plus ou moins la même chose : leurs gouvernements respectifs essaient de faire reculer les droits conquis par les travailleurs. Des acquis historiques, gagnés au prix de nombreuses luttes, de beaucoup de temps et de sang. De nombreux gouvernements tentent d’avancer sur ce terrain et de nous ramener à une époque qui semblait lointaine, mais, néanmoins, ils essayent toujours d’avancer dans cette direction.
S : Quelle est l’importance du lien avec les organisations syndicales d’autres régions du monde ?
JP : Ce doit être un outil. Nous sommes tous des travailleurs. Les intérêts sont de plus en plus mondialisés, ce sont les mêmes employeurs, surtout dans le cas de l’informatique, et le travail est réparti dans différentes parties du monde. Nous avons appelé, avec Solidaires informatique, à organiser l’internationale des travailleurs de l’informatique. Nous avons discuté avec des collègues espagnols, nous voulons que Solidaires travaille dans cette direction également ici en France, nous avons des liens et nous travaillons avec des syndicats au Brésil, au Mexique et nous voulons mettre sur la table tous les besoins, tous les problèmes que nous avons et comprendre comment ces grandes entreprises gèrent le travail. Nous savons comment elles travaillent, elles déplacent les opérations d’un endroit à l’autre, et c’est pour cela que nous devons aborder le problème au niveau mondial.
S : Veux-tu ajouter quelque chose d’autre ?
JP : Tout d’abord, je voudrais remercier Solidaires de m’avoir invité à participer, de m’avoir écouté, d’avoir écouté les travailleurs argentins. C’est un grand geste de fraternité et de solidarité. Nous sommes prêts à partager des informations, à discuter de tout ce que nous pouvons faire ensemble. Et surtout, je vous souhaite beaucoup de force et de courage pour affronter le moment présent, pour soutenir clairement les initiatives qui visent à défendre les droits des travailleurs et pour résister à toute attaque, à toute tentative visant à remettre en cause les droits que nous avons conquis.
Sur la situation en Argentine, voir aussi des articles sur le site de Solidaires, dont une déclaration du 8 mai 2024 : « Solidarité avec les travailleuses et travailleurs en lutte en Argentine contre les mesures anti sociales du gouvernement de Milei ! »
Voir aussi sur le site du RSISL, entre autres articles, « Solidaires de la grève générale en Argentine »